Je m’appelle Yohan Guerrier, j’ai 35 ans, et je suis ingénieur de développement au CNRS. Je suis handicapé moteur de type paralysie cérébrale. Ce handicap est dû à un manque d’oxygène à la naissance, car je suis resté coincé à l’embouchure. J’étais un trop gros bébé par rapport à la fine taille de ma mère. Ou j’étais trop fainéant pour sortir. Il faut dire qu’il doit faire chaud et on doit être au calme là-dedans.
Mon handicap me fait faire des mouvements involontaires, et me fait parler comme Chewbacca. Cependant contrairement aux apparences, je n’ai aucun problème au niveau intellectuel.
Comme je l’ai dit précédemment, j’ai une paralysie cérébrale de type athétosique. A cause de cela, je fais des mouvements involontaires et je parle bizarrement. Je suis né handicapé mais j’étais valide dans le ventre de ma mère. Je suis resté coincé pendant l’accouchement et en plus comme un couillon, j’avais entouré mon cordon ombilical autour de mon cou. Par conséquent, je suis arrivé dans le monde en faisant un arrêt cardiaque. Nous pouvons dire que je n’ai pas fait les choses à moitié. Par contre, les médecins n’ont pas vu mon handicap tout de suite. C’est seulement au bout de quelques années car je ne marchais pas et j’avais des difficultés pour parler.
A partir de ce moment, mes parents ont été voir un spécialiste à Paris qui leur a dit : votre fils ne pourra jamais marcher mais il n’y aura jamais de problème intellectuel. Par conséquent il faudra le pousser dans les études.
Au sujet de ma famille, Tout d’abord ma mère, je la vois comme une lionne blessée. Elle se bat chaque jour pour le bien-être de son entourage, elle ferait tout pour mon bonheur. Quand j’ai un problème, je l’appelle et mon ennui disparait comme par magie. Je pense qu’elle est blessée par mon handicap, selon moi c’est normal pour la raison suivante : elle m’a mis au monde. J’ai remarqué que la plupart des mères se sentent coupables du handicap de leur enfant, selon moi c’est simplement la faute du hasard et en aucun cas cela ne fait d’elles de mauvaises mères. J’ai conscience qu’avoir un enfant handicapé cela n’est pas toujours facile à assumer. Cependant, j’ai remarqué que sa blessure se referme fur à mesure de ma réussite et j’espère la guérir totalement un jour.
Mon père, c’est mon modèle. Il a réussi à faire abstraction de mon handicap, c’est lui qui m’a mis des coups de pied au cul pour me pousser hors de mes limites, résultat : j’ai un bac plus 8. Ses dires sont parfois difficiles à entendre, mais chaque fois cela me remotiver. Ma plus grande phobie serait de le décevoir.
Mes beaux-parents, ils m’ont tout de suite accepté. Ma belle-mère me connaissait bien, car c’était ma professeure au collège, elle a tout organisé pour ma réussite. Indirectement, elle m’a aidé à prendre conscience de ma différence au travers de son humour envers le handicap. Mon beau père est surement mon meilleur confident, car il pose un regard neutre sur mon handicap.
Ma sœur et mes frères, je n’ai jamais ressenti de leur part de la honte envers moi, mais juste une normalité. Au travers de leur regard, je me sens valide. Quand mes frères étaient petits, J’adorai quand Guillaume et Dorian parlaient du handicap avec leurs mots. Ils me posaient beaucoup de questions : pourquoi tu es handicapé ? Tu vas marcher quand ? Je vais être handicap ? Malgré leur jeune Âge, ils m’aident dans la vie de tous les jours : m’ouvrent les portes, me nourrissent, …
Mes grands-parents, je pense qu’ils ont eu peur à ma naissance, car je suis le premier handicapé de la famille, simplement ils ont eu peur de l’inconnu. À présent, je ressens de la fierté envers moi.
J’ai eu une enfance normale entouré d’une famille aimante qui m’a énormément aidé pour ma réussite scolaire, puis professionnelle. Mes grands-parents maternels ont commencé mon éducation, car mes parents travaillaient. Mon grand-père m’emmenait à l’école et ma grand-mère me préparait de bons petits plats. Ensuite ma grand-mère paternelle a pris le relais dans le domaine scolaire. Elle m’aidait à faire mes devoirs. Souvent ça tournait en engueulade car j’avais beaucoup de capacités intellectuelles mais j’étais fainéant. Mon grand-père paternel était mon nourrisseur personnel. Il adorait me donner à manger. Je n’ai jamais rencontré de problème avec ma sœur et mes frères d’un point de vue de mon handicap. Ils l’ont toujours accepté.
Concernant mes parents, ils ont fait énormément d’efforts pour que je puisse réussir dans la vie. Ils ont toujours trouvé des solutions aux problèmes. Lorsque je dis mes parents, je mets mes beaux-parents dans le lot. Encore maintenant, je peux compter sur ma famille pour m’aider dans mes démarches ou pour résoudre mes problèmes. Je les remercie énormément.
A propos de ma scolarité, j’ai commencé en maternelle dans une école publique, mais cela s’est mal passé car les enseignants disaient ne pas être formé pour un enfant handicapé. Par conséquent mes parents m’ont mis dans une école privée et je n‘ai plus eu de problème. J’ai toujours su m’intégrer dans les classes grâce à mon humour. En primaire, un camarade se mettait à mes côtés pour ouvrir les livres. Je faisais les interros avec l’enseignant.
Ensuite au collège je faisais les devoirs scolaires le mardi soir après les cours, avec une professeure. Je ne pouvais pas les faire en même temps que tout le monde car mes camarades auraient pu écouter mes réponses. Je récupérais les cours en faisant des photocopies des cahiers de mes camarades.
Au lycée, j’ai eu deux AVS pour mes deux terminales. Cela m’a beaucoup aidé car c’était un peu compliqué pour récupérer les cours soit avec un cahier d’un camarade, soit avec une photocopie du cours du professeur. De plus, nous devons trouver un surveillant de libre pour m’aider à faire les interros.
A l’université j’ai eu une AVS seulement la première année grâce au financement de mon IUT. Ensuite je n’en ai plus eu, car il n’y pas assez d’AVS pour en donner aux étudiants handicapés. Heureusement que j’ai eu un très bon ami qui m’a aidé durant les cours et me donnait à manger entre midi. Cet ami s’appelle Maxime Baas. Je le remercie de son aide.
Durant mon doctorat, je me rendais à mon laboratoire le matin et je revenais, à 13h, chez moi pour manger et pour travailler. Avec le recul, j’aurai aimé avoir une aide pour la saisie et pour faire les tests. Ce fut un moment difficile dans ma vie. A plusieurs moments j’ai voulu arrêter mais ma famille a toujours su me remotiver.
Après mon doctorat, j’ai été deux ans au chômage. Durant cette période, j’ai pris mon indépendance en quittant le foyer familial. Ensuite, mon responsable de doctorat a trouvé un concours pour avoir un poste dans le laboratoire où j’avais fait mon doctorat. Après un an de stage, j’ai été titularisé et je suis devenu fonctionnaire.
J’ai choisi de travailler dans le domaine de l’informatique et du handicap, car j’ai toujours été passionné d’ordinateurs, et je me suis dit que comme j’étais handicapé, je pourrais aider les personnes avec les mêmes besoins que moi.
Pendant un moment, je pensais être le premier à avoir un doctorat avec un handicap, mais rapidement j’ai rencontré des collègues handicapés. Maintenant nous travaillons sur des articles en commun.
Pendant mon chômage, j’ai quitté le foyer familial. En effet, Il y a six ans environ, je sortais du domicile familial, en fauteuil, pour me rendre dans ma propre maison. Avec le recul, ce fut un moment unique ; j’avançais en même temps vers mon autonomie et l’inconnu. Tout serait si nouveau : avoir des aides à domicile à plein temps, organiser ma vie, chercher un travail… Cependant tout s’est naturellement mis en place, mais évidemment avec l’aide de ma famille et de mes intervenants à domicile. Puis je pense que mon entourage m’avait préparé à ce moment, au travers de leur éducation, car la liberté aurait pu me faire tourner la tête, mais je n’ai pas fait de bêtise. Cependant j’ai quand même reçu des leçons de vie, comme prendre de la hauteur avec certaines situations.
Puis cette indépendance m’a permis de vivre des moments uniques : des apéritifs entre amis, avoir mon premier chat, et me mettre en ménage. Si j’étais resté chez ma famille, où je me sentirais très bien, je n’aurai pas peu vivre le véritable amour, même si cela a appliqué une période difficile dans ma vie, par la suite. Je pense que nous ne pouvons pas toujours être heureux dans la vie, et que le bonheur demande des risques.
Revenons sur le chemin que j’ai pris vers mon domicile. Il fut court, mais j’ai eu le temps de penser à mon parcours effectué jusqu’à là : mon enfance, ma scolarisation, et mes moments de doute. Mais avant tout, j’étais fière de prendre mon indépendance, comme la majorité des personnes valides. De plus, deux ans plus tard, je suis devenu ingénieur au CNRS. Ceci fut encore une victoire sur mon handicap.
Ce chemin fut comme si une page se tournait entre mon adolescence et le monde des adultes, malgré que j’eusse 29 ans. Je pense que nous ne pouvons pas devenir adulte, en restant chez nos parents, car il faut commettre des erreurs pour apprendre.
Durant cette période, j’ai commencé avoir des intervenants à domicile. Effet, Comme vous le savez surement, tous les jours j’ai des aides à domicile pour m’aider dans les tâches quotidiennes. La MDPH m’a attribué 350 heures par mois. Je passe beaucoup d’heures avec ces personnes qui font un travail extraordinaire. Malheureusement elles n’ont pas le salaire à la hauteur de leurs engagements. De plus, elles mettent également leur santé en jeu pour permettre aux personnes âgées ou handicapées de continuer de vivre normalement.
Au bout d’un moment, des liens se forment, et parfois même une amitié. Cependant il faut faire attention de rester dans un cadre professionnel pour ne pas avoir de dérive.
D’un point de vue associations, cela est compliqué pour eux de faire un planning correct entre les demandes des usagers et des employés. Elles doivent faire face à de nombreuses contraintes, et c’est encore plus vrai en ce moment à cause de la crise sanitaire.
Dans ma situation personnelle, je souhaiterais avoir une équipe attitrée pour ne plus avoir de problème de planning, et ne plus à devoir expliquer mon mode de vie à chaque nouvel intervenant. En ce moment, j’ai seulement 3 intervenants pour faire la totalité de mes heures. Cela fait peu. De plus, si un intervenant se met en arrêt, la situation deviendrais très compliquer.
Il y a plusieurs difficultés pour trouver des nouvelles personnes. La première concerne les horaires. Je comprends qu’il n’y a pas beaucoup de monde souhaitant finir à 21h45. Cependant je n’ai pas envie d’aller au lit à 20h30.
La deuxième raison est le fait de m’emmener sur mon lieu de travail qui se trouve à 1/2 heure de chez moi. Les personnes ont peur de prendre ma voiture, et elles n’ont pas toujours envie de passer la journée complète là-bas.
La dernière raison est la peur du handicap, parfois. Comme mon handicap est important, les personnes qui ne sont pas habituées, ne savent pas forcement comment réagir face à la situation. Je conseil à ces personnes de venir passer une journée à mon domicile pour se faire une idée.
Au sujet de ma vie sentimentale, après avoir terminé une relation amoureuse, qui a duré 5 ans, je me suis mis en couple avec l’une de mes intervenantes. Malheureusement ma compagne a fait une rupture d’anévrisme, il y a deux ans.
Cela s’est passé une nuit. Elle s’est levée avec un fort mal de crâne, vomissements, puis évanouissement. J’ai appelé mon père, et les pompiers l’ont transporté en hélicoptère à Lille. Après 3 heures d’opération, ma compagne a passé 2 mois dans le coma.
Tous les week-ends, avec l’aide de ma famille, j’allais la voir en soins intensif. Au début, ce fut très difficile de la voir entourer de tant de machines, et totalement inerte. Puis je me suis habitué, et je me suis mis à lui parler normalement, voir même à lui dire des bêtises.
À son réveil, j’ai rapidement compris que ma compagne avait d’importants de mémoire et qu’elle était retombée en enfance. Ensuite elle est restée une année en centre de rééducation.
À présent, nous vivons ensemble avec des Intervenant.e.s à domicile. De plus, nous sommes complémentaires dans nos handicaps : ma compagne est mes bras, je suis sa tête.
Tous les jours, ma compagne va dans une maison d’accueil spécialisée (MAS), pour y faire des activités manuelles, du sport, et discuter. Ma compagne se rend compte que les résidents de la MAS ont une pathologie plus importante qu’elle. Malheureusement je n’ai pas le choix de la mettre dans cette structure, car elle ne peut pas rester seule chez nous, au vu de ses importants problèmes de mémoire et de son manque d’activité si elle n’est pas motivée par une personne aidante.
Avant que ma compagne rentre dans cette structure, j’ai été la visiter, et j’ai ressenti une sensation de mal être face aux personnes ayant un handicap mental important. Je trouvais que ma compagne n’avait pas sa place dans cet établissement, au vu de la légèreté de son handicap. Cependant lorsque j’ai accepté de regarder sa déficience en face, je me suis rendu compte que son handicap n’était pas si léger que je pensais. Elle avait besoin d’être encadrée par des professionnels pour gérer sa vie.
Le plus difficile c’est lorsque je vois ma compagne prendre le transport pour aller à la MAS, à côté d’une personne lourdement handicapée, avec un doudou dans les bras. Je me demande si elle est vraiment à sa place, quand même. Ajouté à cela, lorsqu’elle travaillait comme intervenante à domicile, elle avait de grandes difficultés à accompagner les personnes handicapées mental, par manque de patience. Régulièrement je me demande ce qu’elle dirait en se voyant dans cet état. Je sais qu’il ne faut pas regarder le passé, mais c’est très difficile d’oublier nos projets et notre indépendance. Peut-être avec le temps, je pourrais tourner la page de la terrible nuit où la rupture d’anévrisme s’est produite.
Au sujet de la déficience mentale, je pense qu’il faudrait faire plusieurs catégories de structures d’accueil, correspondant aux capacités intellectuelles des personnes, afin d’adapter la prise en charge.
À 35 ans, j’ai la sensation d’avoir eu plusieurs vies en une, avec beaucoup d’aventures, et des moments joyeux, mais également compliqués.
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