Forced Perspective Photography of Man Holding the Sun

J’avançai dans les rues parisiennes où une forte pluie d’automne tombait depuis presque d’une semaine. Les rigoles étaient transformées en lit de petits ruisseaux. Ces derniers transportaient des feuilles jaunies ou rougies par la baisse de la sève. Elles se faisaient ballotter en tous sens par les flots qui formaient des géantes vagues, comparées à leur taille. Ces minuscules rivières terminaient leur chemin dans une des innombrables bouches d’égout de la ville. Là, nos traits d’eau rencontraient leurs semblables, puis cet ensemble formait une rivière souterraine insalubre. Elle coulait tranquillement parmi le noir et la puanteur. Sur les rives surélevées, des rats regardaient, avec appétit, passer les déchets des humains. Pour eux, ces détritus constituaient leur met. Cette eau marron foncé terminait son chemin en se jetant au sein de la Seine. Cette dame menaçait de se répandre dans les rues, comme au début du siècle dernier, et par conséquent propager des maladies. Le fleuve donnait une impression de puissance, au travers de son volume et de sa rapidité de mouvements. Des troncs d’arbres constituaient les uniques objets naviguant sur cette succession de tourbillons et de vagues. Les passants regardaient ce spectacle en ressentant une angoisse grandissante.

Dans la rue où je me trouvais, de nombreuses flaques reflétaient vaguement le ciel de coton gris très foncé, limite noire. Le firmament obscurcissait la lumière naturelle, donnant l’impression d’être plongé à l’intérieur d’un film en noir et blanc ou une bande dessinée dépourvue de couleur. Les hautes habitations situées de chaque côté de la rue renforçaient grandement ce ressentiment. Ils témoignaient la longue histoire de cette magnifique ville. Les personnes attentives, et un peu rêveuses, pouvaient encore entendre le bruit des sabots frappant les pavés sales, sentir la puanteur des ruelles dangereuses, ou apercevoir d’élégantes femmes en longue robe.

Même les passants contribuaient à cette noirceur avec leurs vêtements sombres. Cependant, ce tableau s’appropriait de quelques couleurs au travers de grands parapluies servant comme habitation précaire. Leur coloris apportait une légère gaîté dans cette morosité ambiante qui se voyait très bien sur la quasi-totalité des visages.

Personnellement, j’étais submergé par un bonheur simple. Je venais d’acheter un très bon roman, et j’avais hâte de le lire face à un feu de cheminée, en écoutant la pluie frapper mes vitres. Cette musique me détendait, puis me transportait loin de la réalité. Durant cette nuit, je voyagerais au fil des pages, espérant que Paris soit inondé demain pour que mon bien-être se prolonge durant quelques jours. Si cela arrivait, j’aurais le silence comme ami. Mon fauteuil mono place glisserait vers les carreaux du salon, m’offrant vue sur ma rue. Des litres de café seraient préparés et mis à mes pieds. Et le paquet de cigarettes se trouverait sur le rebord de la fenêtre entrouverte, laissant ainsi passer un filet d’air frais. Il se mêlerait avec la chaleur intérieure, donnant une enveloppe tempérée et respirable. Pour finir, je me risquerais à penser à mon bonheur égoïste constitué par le fait que je sois au chaud pendant cette période pluvieuse.

L’atmosphère de l’automne m’avait pénétré, puis retirait toutes mes mauvaises pensées. Tout me paraissait beau sous cette pluie. Les feuilles multicolores tombaient dans les parcs sur les promeneurs venus admirer l’agonie de dame nature. Elle s’accompagnait anormalement de jolies couleurs appartenant à la gamme des oranges. Cette mort était belle visuellement et de façon ressentît, car chacun savait que la nature renaîtrait l’année prochaine. Cette fin de vie produisait une agréable odeur faisant voyager imaginairement, un peu comme une drogue. Encore une fois, c’était l’opposé du trépas traditionnel.

Je voulais absolument profiter de ce moment, au même titre d’une séance de bronzage sous un soleil brûlant. Cette ambiance me rappela ma jeunesse, plus précisément mon rêve d’aller faire Halloween au sein d’une petite ville américaine. Je me serais promené dans les rues, habillé en vampire. Mon parquet de bombons presque vide serait agité par un vent nocturne provenant des arbres orange. La lune éclairerait faiblement mes pas, entre deux nuages filant à toute allure vers l’horizon. Je m’amuserais à me faire peur en pensant qu’un tueur d’enfants rôderait. Me connaissant, j’aurais fait tout mon possible pour rester toute la nuit dehors.

Me voilà arrivais en bas de mon immeuble.

 

Je pénétrais mon salon, tout mouillé. Mes pieds caressaient la moquette foncée qui sentait, comme chaque élément de la pièce, fortement la fumée de cigarette froide. J’allumai l’ampoule nue, à l’aide d’un petit interrupteur à levier. Elle se trouvait au centre d’un cercle formé par des roses moulées dans le plafond blanc. La forte lumière blanche mit en valeur une vingtaine de piles de livres, hautes d’environ un mètre. Parmi ces tours, un fauteuil d’une place effectuait un tête-à-tête avec une cheminée ouverte. Des petites fleurs bleues posées sur un fond marron foncé le décoraient. L’assise comportait une longue éventration. Elle laissait sortir une grosse mousse jaune poussin. On ne voyait pas les murs pour cause de présence d’étagères en bois comportant des centaines de livres. Une unique fenêtre jaunie par la fumée donnait vue sur un haut bâtiment datant du dix-huitième siècle. En bas, on apercevait, au travers des gouttes d’eau, une étroite ruelle peu fréquentée.

Mon compagnon se nommait William. Il était parti en déplacement pour son travail à Marseille durant trois semaines. On vivait chacun dans son propre appartement. Et lorsqu’on l’envie d’un câlin ou le manque d’affection se faisait sentir, l’un allait chez l’autre passer deux trois jours. Ensuite, chacun repartait chez lui. Je ne ressentais pas d’amour envers lui. Il me servait uniquement à assouvir mes besoins naturels, au même titre de la nourriture. Je voyais son amour pour moi, mais cela ne me faisait ni chaud ni froid.

J’allumai la cheminée, puis me plongea parmi un bain bien chaud. À ma sortie, une pénombre nocturne habitait mon salon. Le feu mourait doucement. Il se résumait à des braises rouges. Je me hâtai de mettre une buche pour le ramener à la vie. Des flammes jaunes séchèrent mon corps nu, en me faisant frissonner. Une fois entièrement sec, j’enfilai un gros peignoir éponge, puis mangea rapidement un bol de soupe verte accompagnée par des tartines beurrées.

Après le dîner, le fauteuil fut poussé sous la fenêtre peu ouverte. Cet endroit allait devenir mon paradis pour les heures avenir. Deux agréables bruits brisaient le silence : le ronronnement du feu, et la pluie sur les carreaux. Une lampe de bureau posée sur le rebord de la fenêtre éclairait les mots.

 

Je lus durant toute la nuit, voyageant au gré de l’histoire. Mon bonheur était à son comble, malgré la fatigue. Je ne voulais absolument pas de cet instant s’arrête.

Au petit matin, mon regard embrumé scruta la ruelle, espérant de voir une rivière. Le soleil m’aveugla. Les pavés étincelaient comme des étoiles. J’ouvris la fenêtre pour regarder la couleur du ciel. Un air frais saturé par une senteur de feuilles mortes humides me tonifia et me fit frissonner. Les oiseaux chantaient sur un fond bleu.

Très déçu, je me levai et pénétrai ma salle de bain, nu. Pris un revolver, puis retourna à mon lieu de départ. Posa l’arme froide sur ma tempe. En ressentant une grande joie d’avoir trouvé un remède à ma déception, je dis à voix haute :

« Que mon bonheur égoïste ne soit plus sali par la vie »

J’appuyai sur la gâchette. La joie éternelle commença.

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